En France, la gestation pour autrui demeure interdite, tandis que certains pays la reconnaissent sous des conditions strictes. Le premier enfant né grâce à une mère porteuse a vu le jour en 1985, marquant un tournant dans l’histoire de la procréation médicalement assistée. Depuis cette date, les parcours des familles concernées oscillent entre avancées médicales, bouleversements juridiques et débats éthiques intenses. Les témoignages et décisions de justice illustrent l’évolution des mentalités face à une pratique encore controversée.
Aux origines de la maternité de substitution : repères historiques et évolutions majeures
La maternité de substitution ne surgit pas de nulle part. Elle s’inscrit dans le sillage des progrès médicaux et des mutations sociales qui bousculent la notion même de famille. Dès les années 1970, la procréation médicalement assistée (PMA) ouvre la voie à des scénarios jusque-là inenvisageables. L’arrivée de la fécondation in vitro (FIV) en 1978, avec la naissance de Louise Joy Brown au Royaume-Uni, bouleverse les règles du jeu : la gestation et la filiation génétique se retrouvent dissociées, une première dans l’histoire humaine.
Au début, la mère porteuse intervient dans le cadre de la maternité de substitution traditionnelle : une insémination artificielle est réalisée avec les gamètes du père d’intention. Aux États-Unis, l’avocat Noel Keane, à Detroit, institue les premiers contrats de GPA dans les années 1980, posant les jalons d’un encadrement légal entre parents d’intention et femme porteuse. Puis tout évolue avec la substitution gestationnelle : désormais, l’embryon conçu par FIV, avec les gamètes du couple, est implanté chez la porteuse, repoussant encore plus loin les limites du corps et du lien biologique.
Pour y voir plus clair, voici les deux grandes formes de maternité de substitution qu’il faut distinguer :
- substitution traditionnelle, qui implique une insémination artificielle et un lien biologique avec la porteuse
- substitution gestationnelle, fondée sur la FIV et une séparation totale entre gestation et génétique
Tandis que la France maintient une interdiction stricte de la GPA, s’appuyant sur l’indisponibilité du corps humain, d’autres pays comme l’Ukraine ou la Californie proposent un cadre légal précis. Face à ce contraste, de nombreux couples français franchissent les frontières, notamment vers l’Ukraine, pour réaliser leur projet parental, mettant en lumière l’écart grandissant entre le droit français et l’aspiration profonde de fonder une famille.
Premier enfant né grâce à une mère porteuse : une histoire qui a marqué les esprits
L’arrivée du premier enfant par gestation pour autrui a bouleversé le paysage. Aux États-Unis, en 1980, Elizabeth Kane accepte de porter l’enfant d’un couple qui ne peut avoir d’enfant par des moyens classiques. La grossesse, issue d’une insémination artificielle avec le sperme du père d’intention, aboutit à une naissance en 1981. Kane perçoit une compensation financière, déclenchant, dès les premiers jours, un débat intense sur la rémunération de la mère porteuse et les dilemmes éthiques de la gestation pour autrui.
L’affaire, connue sous le nom de « Baby M », fait rapidement la une des médias. Où commence la maternité ? Où s’arrête-t-elle ? Lorsque la femme qui porte l’enfant n’est pas celle qui l’élèvera, la justice américaine se retrouve face à une question inédite. Le New Jersey devient alors le théâtre d’une confrontation judiciaire qui expose la tension entre le respect du contrat et la protection de la mère biologique, révélant la fragilité du lien entre parents d’intention, mère porteuse et enfant.
Outre-Atlantique, le Royaume-Uni prend un autre chemin. Dès 1978, la naissance de Louise Joy Brown, premier bébé issu d’une FIV, avait déjà ouvert la voie à de nouveaux possibles. Mais la gestation pour autrui ajoute une couche supplémentaire : la technique ne suffit plus, c’est désormais la société et le droit qui doivent répondre à des questions inédites. Les discussions se multiplient, oscillant entre espoir et inquiétude devant cette nouvelle manière de devenir parent.
Quelles réalités pour les familles concernées ? Témoignages et parcours de vie
Depuis l’apparition des mères porteuses, les familles qui y ont recours suivent des chemins à part, hors des sentiers battus. Les parents intentionnels évoquent des années de démarches, d’attente, de doutes, mais aussi une détermination à toute épreuve. Dominique Mennesson, figure connue en France, voit ses jumelles naître en Californie grâce à la gestation pour autrui. Son parcours, jalonné de difficultés administratives pour faire reconnaître la filiation de ses filles par l’État français, illustre le parcours semé d’embûches de ces familles, tiraillées entre des lois nationales rigides et la réalité vécue à l’étranger.
Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, analyse la diversité de ces trajets de vie. Certains couples, confrontés à l’infertilité ou à l’absence d’utérus, se tournent vers l’Ukraine ou la Californie, attirés par des cadres juridiques clairs. Ils décrivent souvent une relation forte avec la mère porteuse : dialogues réguliers, rencontres, parfois un lien qui se prolonge même après la naissance. D’autres choisissent la discrétion, préservant leur histoire familiale du regard des autres.
Pour les enfants nés via mère porteuse, la question de l’intérêt de l’enfant est centrale. Certains grandissent en connaissant toute leur histoire, dans un climat familial empreint de transparence. D’autres vivent dans le silence ou l’opacité, parfois exposés à une médiatisation qu’ils n’ont pas choisie ou à l’absence de reconnaissance administrative.
Voici quelques situations concrètes selon les pays qui montrent la diversité des parcours :
- En France, la gestation pour autrui reste interdite, mais des couples font le choix de se tourner vers des cliniques à l’international.
- En Ukraine ou en Californie, les familles accèdent à des structures spécialisées et des protocoles médicaux bien établis.
Entre démarches administratives longues, questions psychologiques et recherche de reconnaissance, chaque famille construit son propre équilibre, loin des modèles préexistants.
Aspects légaux et enjeux éthiques : où en est-on aujourd’hui en France et dans le monde ?
La gestation pour autrui provoque toujours des débats, et la controverse ne se tarit pas, aussi bien dans les arènes juridiques que sur le plan moral. En France, la maternité de substitution est interdite par la loi. Le code civil se fonde sur le principe d’indisponibilité du corps humain et la volonté de prévenir toute marchandisation. Des voix comme celle de Sylviane Agacinski défendent cette position, pointant le risque de réduire les femmes à une fonction reproductrice et la nécessité de mettre l’enfant à l’abri de toute forme d’exploitation.
À l’échelle internationale, le contraste est frappant. En Californie, la gestation pour autrui est encadrée par des contrats solides, soutenus par une jurisprudence claire comme l’affaire Johnson contre Calvert, qui place l’intention parentale au cœur du dispositif. À l’opposé, le Michigan interdit catégoriquement la maternité de substitution. Quant à l’Ukraine, elle attire de nombreux couples européens grâce à une réglementation explicite.
Au sein de l’Union européenne, aucun consensus n’a été trouvé. Le droit français continue de refuser l’inscription à l’état civil des enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse, bien que la Cour de cassation commence à s’ajuster sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme. Les questions liées à la filiation, aux droits des parents intentionnels et au statut de l’enfant suscitent des tensions persistantes, sans solution partagée.
Sur le terrain de l’éthique, les lignes restent claires : vulnérabilité des femmes, risques d’exploitation, tentation de traiter la naissance comme un service marchand. Ceux qui défendent un encadrement légal mettent en avant la sécurité de toutes les parties. Les opposants, quant à eux, redoutent la logique de « commande » d’enfant et la rupture du lien biologique, rappelant des situations emblématiques comme celle de « Baby M », où la mère porteuse a refusé de se séparer de l’enfant.
À la frontière du droit, de la médecine et des convictions, la gestation pour autrui continue de questionner, sans qu’aucune certitude ne vienne clore le débat. Une affaire de société qui, loin de s’apaiser, ne cesse de faire parler d’elle.


